L’Histoire de SAINT-NAZAIRE

Monographie de Saint-Nazaire
Histoire Générale de Saint-Nazaire
1 - La maison seigneuriale
2 - Le Barry
3 - Le cimetière
4 - Reconstitution d’un quartier au XVIIe siècle
5 - L'andronne
6 - Les cloches
7 - Le village-étape sur la Roquebrune
8 - Le village aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles
9 - A la recherche du fort villageois : dans le labo de l’historien
10 - La coutume au village

Histoire de Saint-Nazaire de la préhistoire à la seconde guerre mondiale

Saint-Nazaire de la Préhistoire à la seconde guerre mondiale, dans une Monographie de l’Abbé Pierre Béraud, que vous trouverez dans les documents joints dans cette rubrique.

Cette Monographie a été recopié sur un vieux document à l’identique (orthographe, ponctuation, etc…)                               

Histoire générale de Saint-Nazaire

Au vu des traces de l'occupation humaine dès le néolithique avec, par exemple, cette magnifique hache retrouvée sur le territoire communal, et au vu des nombreuses traces de l'époque gallo-romaine comme cette tête d'une nymphée retrouvée dans le sous-sol du presbytère et semblant indiquer une antériorité antique à l'église médiévale, le village de Saint-Nazaire pourrait bien être un des plus anciens villages du Gard. Sa position semble également le confirmer : à proximité de la voie antique, la via Alba, qui menait donc à Alba, la capitale des helviens, jadis la commune d' Aps en Ardèche et devenue pour des raisons de marketing touristique et culturel, Alba la Romaine. Situé sur cet axe majeur, Saint-Nazaire tire son existence de la route et des terres des bas-fonds que les gallo-romains drainèrent et mirent en valeur. Parce qu'on l'ignore trop souvent mais le paysage alentour est une construction humaine millénaire. Et en conséquence, le village qui existe donc déjà au XIIIe siècle contrôle un territoire dont une bonne partie a été l' œuvre des prédécesseurs. Si cette belle plaine viticole doit beaucoup à la puissance d'aménagement de la romanité, les terres ouvertes sur les pentes sont quant à elles plus médiévales. D'une époque à l'autre, ce qui a changé c'est la démographie. Alors que quelques villages gallo-romains mettaient en valeur le territoire nazairien après avoir drainé les bas-fonds, au Moyen Âge c'est un village de 150 à 250 âmes qu'il faut nourrir. Et la colline qui servait jadis de zone de parcours pour les ovins des fermes gallo­romaines, se voit pénétrer par l'agriculture qui met en valeur les fonds de vallon où s'est accumulée la terre. On va jusqu'à dresser des terrasses où l'on portera de la terre pour créer des terroirs totalement artificiels et cela, jusqu'au milieu du XIXe siècle.

Quant au village lui-même, son ongme est incertaine et cette question des origines est toujours un problème pour l'historien. Les coupures franches sont rares et par conséquent, les naissances également. Mais la maison seigneuriale atteste de cette existence médiévale même s'il est très difficile de dire quoi que ce soit de ce village dont on ne sait pas s'il a été intégré dans le fort du XIVe siècle, ou si il a été abandonné au profit d'un village neuf comme cela a pu être le cas à Saint­Laurent la Vernède, où le village fort a été reconstruit à côté de l'ancien village dont on réutilisa en partie les pierres. Le fort villageois apparut dans la seconde moitié du XIVe siècle à l'image de ce qu'il se faisait un peu partout dans les alentours et de chaque côté du Rhône. On le devine encore dans le tracé des rues, de vieilles photos montrent encore la base d'une des quatre tours rondes qui gardaient les murailles. Après avoir subi la Guerre de cent ans et les pestes des XIV et XVe siècles, les guerres de religion viendront rappeler aux nazairiens la dureté de la vie et la nécessité de rester groupés à l'abri des remparts. Comme si cela n'avait pas été assez le XVIIe siècle accroitra les difficultés avec une pression fiscale qui quadruple dans la première moitié du siècle, produisant un grand nombre de révoltes paysannes, toutes réprimées dans le sang. Cependant, Saint-Nazaire est en bord de route et si le Rhône est souvent préféré pour descendre vers Marseille ou Beaucaire, celle-ci génère tout de même une activité. L'existence d'une hostellerie au XVIIe en témoigne.

Après les calamités climatiques de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècle dont l'hiver 1709 qui restera à jamais dans les annales de l'histoire européenne, la seconde moitié du XVIIIe siècle voit, avec les travaux routiers et le développement économique, le nombre d'habitants de Saint-Nazaire augmenter, et cela ne cessera qu'au milieu du siècle suivant avec le développement de l'industrie et la mise en place du réseau ferroviaire. L'exode rural touche Saint-Nazaire comme tous les villages du pays à partir des années 1860. L'étiage de population est atteint en 1926, date à laquelle la population française se partage quasiment à parts égales entre citadins et ruraux. Le premier plan quinquennal d'investissement nucléaire lancé en 1951 par le secrétaire d'État Félix Gaillard aboutit en 1956 par la construction du site de production de plutonium de Marcoule, à quelques kilomètres de Saint-Nazaire. La population est triplée en quelques années pour atteindre 900 habitants en 1956. Saint­Nazaire change d'ère et bascule dans la modernité tout en conservant son vignoble et son caractère rural. Ne reste plus désormais qu'à voir surgir de terre le contournement routier qui rendra sa tranquillité au village. Ce sera alors la fin de cette conjugalité difficile avec la grande route royale devenue impériale, puis nationale, mais ce sera sans doute aussi le début d'une épopée nouvelle dont les nazairiens d'aujourd'hui s'attachent à écrire les premières lignes.

1 - La maison seigneuriale

Une maison médiévale a su, malgré de nombreuses transformations, résister au temps à Saint-Nazaire. C’est ce que l’on appelle encore ici la maison seigneuriale. C’est une maison forte, c’est à dire un ensemble architectural qui avait pour vocation de prévenir les coups de main et le brigandage. A priori, aucune logique castrale ne présida aux destinées de cet édifice qui n’avait donc pas vocation à sécuriser les villageois, qui se dotèrent à cet effet d’un fort à la fin du XIVe siècle. Comme à Poët-Laval ou plus près d’ici à Cavillargues, l’édifice seigneurial est partie prenante du rempart ce qui, souvent, fut aussi le cas des églises. C’était une manière de participer à la fortification du lieu en diminuant les dépenses et en faisant d’une pierre deux coups comme ici à Saint-Hilaire d’Ozilhan. Si l’on observe la partie nord de l’édifice, on remarquera deux appareillages différents, des pierres taillées relevant d’un petit appareil (le gros appareil étant dans la région parfaitement représenté par les blocs de pierre utilisés pour construire le Pont-du-Gard), ce petit appareil donc occupe les trois premiers quarts du bâtiment, et un plus petit appareil grossièrement taillé occupe le dernier quart, au sommet de la façade nord.

Cela marque une chronologie de la façade et un rehaussement tardif de l’édifice si l’on en croit la forme des fenêtres apparaissant au-dessus de la limite des deux appareils ainsi que l’usage de moellons grossiers. L’usage d’un arc surbaissé débardé dans un linteau permet de dater approximativement le rehaussement de l’édifice des XVIIIe ou XIXe siècles. Peut-être a-t-on installé là un grenier, un palier ou une magnanerie alors que cette industrie se développe fortement dès le milieu du XVIIIe siècle? Il est une certitude, c’est qu’un pigeonnier fut installé là. Toutefois, en examinant les deux façades, on se rend compte que le rehaussement inégal au sud et au nord du bâtiment a permis d’opérer une rotation des fonctionnalités à 180 degrés. Alors que la maison forte avait sa façade principale tournée vers l’intérieur du village, le rehaussement de la façade nord excédant largement celui de la façade sud induit un changement. Le mur gouttereau jadis au nord devient dès lors le mur de la façade sud. Se tournant vers l’extérieur et sans doute vers un jardin ou une cour, la maison nouvelle marque cette époque qui voit le bâti villageois se détendre, ne plus craindre autant l’insécurité, c’est le XIXe siècle, et peut-être même la seconde moitié du XIXe siècle.

Scrutant les façades, on apercevra des pierres à bossage, c’est à dire des pierres soigneusement taillées dont on a laissé une excroissance ici grossière sortir du plan de façade. Ce procédé a ceci de particulier qu’il est très représenté dans le département du Gard. Importé depuis le Moyen-Orient où les croisés l’on rencontré avec maintes autres procédés de fortifications, il s’est répandu dans le Midi notamment à partir d’Aigues-Mortes où les architectes des Rois de France mobilisèrent un certain nombre de ces nouveautés orientales parmi lesquelles la pierre à bossage. Son rôle défensif réside dans sa capacité à accroître la résistance des murs aux boulets de pierre à en diminuer l’impact. Maintenant, si nous regardons les façades de la maison seigneuriale de Saint-Nazaire, les pierres à bossage apparaissent de manière clairsemée. Il semblerait donc que le rôle militaire de la pierre à bossage n’ait pas présidé ici à son utilisation. Il s’était plutôt agi de suivre une mode et de faire montre de sa soumission au Roi et peut-être aussi de conférer à l’édifice une aura monarchique en s’associant à cette esthétique jugée royale. Depuis Nobert Elias, éminent sociologue, nous savons que les modes percolent, dans la société, du haut vers la bas, les grands donnant le ton.

Nous sommes ici typiquement dans ce cas de figure.
L’usage de la pierre à bossage va nous aider à dater la construction de la maison forte initiale. Si Jean Mesqui, un éminent spécialiste de l’architecture médiévale du Midi, date de la fin du XIIe siècle l’apparition du bossage, les hypothèses plus tardives de Frédéric Salle-Lagarde ne sont pas à dédaigner, elles sont plus complètes et ce serait donc au début du XIIIe siècle qu’il faudrait attribuer la construction de l’édifice. La maison forte était une alternative à la tour féodale. Elle coûtait bien moins cher à construire et son rôle était différent. Elle était le plus souvent occupée par des représentants des titulaires des pouvoirs. On trouve ailleurs dans le Gard des maisons fortes dont celle-ci munie d’un bouclier sommital, à Allègre-les-Fumades.

2 - Le Barry

Je vous convie là à une expérience exceptionnelle qui va consister en l'exhumation d'un paysage disparu. Il s'agira du paysage urbain du barry. Le barry est un terme occitan qui désigne à l'origine le rempart et qui, par dérivation, en est venu à désigner les rues qui en font le tour, soit à l'intérieur mais le plus souvent à l'extérieur du rempart. Ainsi, le barry devient dans certains villages le lieu de la promenade vespérale. De ce terme barry, on a tiré le verbe « baruler » qui signifie se promener mais aussi tourner en rond et aller et venir sans but. Nous allons donc « baruler » virtuellement et faire le tour du village à l'extérieur des remparts et nous rendre compte, grâce à la 3D, de ce à quoi pouvait ressembler cet espace très particulier. Nous livrons une expérience cartoonesque qui ne cherche pas l'exactitude de la reconstitution. Il s'agit seulement de donner une idée de ce à quoi pouvait ressembler les alentours du village. La particularité de cet espace est lié à sa proximité avec le village, les terres cultivées les plus proches du fort villageois sont les plus appréciées, les plus productives, les plus chères ... tout cela parce que ces parcelles sont celles qui accueillent le plus de fumier, parce qu'elles sont proches du village et donc des étables, elles sont aussi très surveillées ... Du coup, on trouve là des types de production qu'on ne retrouve pas dans la campagne alentour. Les jardins sont près des remparts, voire collés à eux, les luzernes aussi, puis on trouve également des terres céréalières à haut rendement. On sait qu'on pouvait obtenir sur les terres les mieux fumées jusqu'à 5 fois plus de grains, 15 grains récoltés pour un semé alors que la moyenne était lors des bonnes années de 1 pour 3 ou 4. Ces terres fumées à l'excès étaient des trésors agraires.

Comme les jardins, elles sont murées, ainsi, le pourtour du village de Saint-Nazaire présente la plus haute densité de murets de pierre sèche, et des murets qui peuvent être parfois très hauts, atteignant la canne, c'est à dire les deux mètres, cernées de ronces placées à dessein pour dissuader l'escalade. Ces jardins sont d'une importance capitale pour l'alimentation des villageois. Espace de haute productivité cultivé tout au long de l'année, le jardin s'attire le meilleur fumier qui soit : les fientes tirées du poulailler. Il produit ces choux que l'on récolte en hiver et qui, agrémentés de lard, permettent de survivre à la soudure, ce sont les cauli-fiori d'Olivier de Serres.
Ici, jusqu'au XIXe siècle qui voit s'éteindre les disettes, la faim, et donc son corollaire l'alimentation, sont une source d'angoisse constante. On le remarque à ces murets de deux mètres de haut qui ceinturent les jardins. Pour autant, s'il faut nourrir les hommes, il a fallu également nourrir les animaux qui se déclinaient en chevaux (rares), en bœufs (rares et cantonnés dans les grandes métairies isolées comme au Brusquet), en ânes (nombreux et plutôt montés par les femmes dans la région comme nous le précise Jean Racine qui passa quelques mois à Uzès, tout près d'ici),

des mules (nombreuses et dédiées au labour et donc chargées de tirer l'araire) et des moutons dont le troupeau global équivaut à quelques 300 têtes avec des hauts et des bas liés aux épizooties nombreuses, ces épidémies qui déciment les troupeaux régulièrement. Mais en déambulant autour de notre fort villageois en 1631, nous découvrons aussi des champs de luzerne. Celle-ci fournit un excellent fourrage dédié à l'hostellerie et donc aux chevaux des voyageurs. Ces deux champs de luzerne et l'hostellerie appartiennent au plus aisé des paysans du cru, le Sr Jean Coste, bayle du lieu, fils de Barthélémy Coste qui lui aussi était déjà le représentant du seigneur; aussi loin qu'on remonte on trouve un Coste à ce poste. Une dynastie de bayles ...
Autour du village on trouve aussi un mûrier esseulé, sans doute reliquat d'une tentative de développement de la sériciculture avortée des ancêtres de ce Jacques Fabre dont la maison est hors le fort. Enfin, quelques bâtisses ont risqué l'aventure à l'extérieur des remparts. Il y a d'abord la maison des bayles, les Costes, qui même si la maison seigneuriale leur est inféodée, résident à l'extérieur, marquant ainsi leur domination sociale. Représentants du Comte de Grignan, l'un des plus puissants seigneurs de la région, ils marquent ainsi leur position sociale. On pourrait imaginer une ferme comme celle-ci, fermée sur elle-même, avec comme précisé dans le compoix, son étable, sa fénière, sa cour et son ubize, entendez son abri sous-toit. Enfin, le long de la route, cernée de chemins comme le précise le compoix, il y a l'hostellerie.

3 - Le cimetière

Oue la localisation de Saint-Nazaire ait été en partie déterminée par un établissement antique de bord de route de type cimetière antique revêt une certaine probabilité. Les gallo-romains avaient établi leurs cimetières à l'extérieur des villes, le long de routes et parfois assez loin. Les morts étaient à cette époque expulsés du monde des vivants. Avec le Moyen Âge et la constitution du village de Saint-Nazaire dont on ne saurait donner véritablement l'origine, le cimetière fait son retour parmi les vivants. Les vivants se rapprochent des morts et on fera même dire pour eux des messes perpétuelles qui inévitablement ... perpétuent leur présence. D'une certaine manière, le christianisme redonne vie aux morts avant même la fin des temps qui verra la résurrection de la chair. Cette révolution dans le rapport à la mort se voit dans les archives. Le plan cadastral nous montre le cimetière au cœur du village ancien, le fort. Dans le compoix de 1631, il n'apparaît pas mais dans l'inventaire des reconnaissances féodales nous le voyons bien apparaître avec plusieurs maisons qui le confrontent au sud, maisons disparues aujourd'hui. L'une d'entre elles est même quasiment enclavée dans le cimetière et on peut même imaginer une configuration du cimetière comme celle-ci. Si le cimetière respectait les us et coutumes médiévaux et post-médiévaux, une croix devait être dressée en son centre. Les villageois s'y faisaient enterrer de manière dépouillée si bien que seuls les seigneurs, qu'ils soient laïques ou ecclésiastiques, se voyaient après trépas dotés d'une pierre tombale. Le plus souvent, ces élites se faisaient enterrer dans l'église, sous la nef, au plus près de l'autel pour le plus puissant d'entre eux. Il s'agissait de bénéficier si possible de la sacralité de l'autel. Ici à Saint-Nazaire, les

eigneurs du lieu se faisaient enterrer dans des chapelles beaucoup plus prestigieuses à Caderousse ou Grignan. Mais le commun des mortels n'avait d'autres choix que de se faire enterrer dans le cimetière sans bénéficier de l'aura religieuse du bâti consacré. Alors, pour espérer gagner au plus vite le paradis ou, pour les moins optimistes, afin de réduire au maximum le temps passé au purgatoire, des stratégies de distinction étaient mises en place. On essayait de se rapprocher de La Croix centrale, ou mieux encore d'être le plus près possible des murs de l'église. Pour y parvenir, il fallait l'accord du curé. Il était possible de l'aider à prendre sa décision en lui étant agréable ,. en soutenant son office. Les plus ardents dans la foi pouvaient même demander d'être enterrés à l'entrée de l'église pour être continûment piétinés par les fidèles et montrer ici la profonde humilité qui les animerait après leur mort. On le voit, la mort était investie de phantasmes nombreux qui la rendaient beaucoup moins opaque qu'elle ne l'est aujourd'hui alors que se développe la crémation au détriment de l'inhumation. Nous retrouvons pour certains d'entre nous aujourd'hui le rite romain et comme par hasard, nous expulsons depuis deux siècles les cimetières hors des villages qui, en s'étendant, finissent par les rattraper parfois. Cette expulsion commence avec la fin du XVIIIe siècle, les sensibilités ayant changé, on ne supporte plus les exhalaisons putrides, les os déterrés par les chiens, et les joueurs de boules se plaignent d'être dérangés par les enterrements. Jouer à la pétanque dans le cimetière peut paraître bizarre, mais jadis situé au centre des villages, les cimetières étaient des lieux d'une intense activité, des lieux de vie, des espaces pour la palabre et le commerce, même. On retrouve là cette continuité de la vie et de la mort que la modernité a effacée. Cette continuité était telle que dans une grande ville voisine, les frères Revelly, dont on ne sait rien d'autre que ce fait, ont été condamnés à huit jours de prison pour avoir joué aux boules dans un cimetière avec des crânes tout juste déterrés.

4 - Reconstitution d'un quartier au XVIIe siècle

Le manque d'information à notre portée immédiate nous empêchant de restituer le fort villageois tel qu'il a pu être la fin du XIVe siècle avec ses tours d'angle et ses hautes murailles. Il nous faut donc nous intéresser à une période plus récente, mieux documentée, ce sera le XVIIe siècle et, plus précisément, les années 1630 qui sont informées par le compoix de 1631. Ce document, que nous présentons dans un autre micro-doc, porte à notre connaissance la quasi-totalité des parcelles bâties et non bâties du territoire nazairien, lui échappent les biens nobles et ecclésiastiques dispensés d'impôts. La maison forte du seigneur, l'église et ses annexes n'y apparaissent pas. Les bâtiments de la communauté d'habitants non plus. Pour pallier à ce défaut, un autre document peut parfois combler les manques, il s'agit d'un ensemble de reconnaissances féodales conservées aux AM de Bagnols classé Il 20.

Suivons l'historien dans sa tentative. Il est bon de savoir dès l'abord que les parcelles bâties sont situées dans les documents relativement les unes aux autres, comme nous le voyons ici avec la rubrique consacrée à Maître Jean Borie : il possède, entre autres, « une maison et couvert attouchable » c'est-à-dire jointe, située dans ledit village de Saint-Nazaire, « confrontant du levant », c'est-à-dire à l'est ; et « à bise », c'est à dire au nord une autre maison, celle de Barthélémy Ligonnetz, « du couchant» c'est à dire à l'ouest la rue et ainsi de suite ... Toutes les maisons étant situées les unes par rapport aux autres, pour commencer la restitution, il faut évidemment partir d'une maison dont la localisation ne fait guère de doute, une maison touchant la muraille est idéale. 

C'est ce que nous avons fait sur ce document de travail relatif au quartier sud-est du village, 1 /4 du village du XVIIe siècle grosso modo. Ici, sur le premier schéma, les maisons sont représentées par des blocs très éloignés de la réalité et placées les unes par rapport aux autres en fonction des données du compoix. Il s'agit d'abord de placer les blocs les uns par rapport aux autres et de vérifier la cohérence de la configuration spatiale obtenue. Celle-ci étant établie on essaie ensuite de voir comment réajuster les blocs pour faire correspondre le schéma et les confronts multiples proposés par les documents. On obtient un second schéma un peu moins éloigné de la réalité que l'on peut dès lors confronter au plan cadastral du XIXe siècle qui, Ô surprise, nous renvoie une configuration qui correspond très bien à celle du XVIIe siècle. Bien sûr, des changements sont apparus, des cours ont été supprimées au bénéfice de nouvelles maisons, des blocs de maisons ont été divisés, les murailles ont été outrepassées à l'est. Une maison, la no 25 dans le plan cadastral, la no 37 sur le schéma correspondant à celle de Claude Ligonnetz, semble n'avoir pas été transformée dans l'intervalle de deux siècles qui sépare le cadastre napoléonien de 1824 du compoix de 1631. 

Sans doute nous donne-t-elle ici l'axe du rempart médiéval? Au sud, la transformation a été sans doute d'envergure puisque la maison de Barthélémy Ligonnets confrontait à l'est et au sud la muraille. L'absence de mention d'une tour d'angle prouve son absence puisqu'en lieu et place de cette mention d'une tour nous trouvons la mention de la rue ... Preuve que la muraille est ouverte à cette endroit, ouverture issue de la destruction de la tour d'angle. Doit-on cette destruction aux guerres de religion, au temps, aux nazairiens eux-mêmes qui remobilisèrent ailleurs les grandes quantités de pierres tirées des remparts éboulés ... A ce jour nul ne le sait ... Mais des recherches plus poussées pourront peut-être lever le voile ...

5 - L'andronne

A déambuler dans un village, à voir les façades des maisons, le promeneur croit avoir à faire à un monde simple et parfaitement ordonné. Or, il n'en est rien. La maison de village plonge parfois ses racines si loin dans le temps que sa configuration en est devenue très complexe. Une façade ne dit rien de ce à quoi elle donne accès. Car les maisons peuvent s'enchevêtrer les unes dans les autres, elles peuvent avoir des cours insoupçonnées à l'arrière qui ouvrent sur d'autres cours offrant aux propriétaires un paysage urbain secret. Il y a aussi les caves creusées dans le rocher, trous d'où l'on a souvent tiré les pierres pour ériger la maison. A Saint-Nazaire, le village est effectivement construit sur le rocher par nécessité et utilité. Construire dans la terre, c'est devoir tracer des fondations et en réaliser, c'est un art difficile qu'on a souvent évité dans le Midi en construisant sur le rocher avec les pierres extraites sur place. Village de pierres construit sur la roche même qui a servi de carrière de pierres, Saint-Nazaire s'est lancé au XIVe siècle un défi en se claquemurant derrière une haute muraille pouvant dépasser les 5 mètres de haut. Ce défi que les nazairiens ont relevé pendant des siècles en s'en libérant véritablement au XIXe, a consisté à pouvoir accueillir le surcroît de population dans un espace bâti enserré par les murailles. Si quelques édifices occupent l'extérieur immédiat, ils sont très rares : une hostellerie, une maison de ferme d'un paysan aisé, sans doute fermée sur elle-même, une maison encore. Et les quelques granges mettant en valeur des terroirs éloignés n'étaient habités que par des métayers, des locataires qui prenaient le risque de vivre si loin du village. Le propriétaire résidante plus souvent en ville.

Le villageois, lui, vit derrière les murailles, derrières ces portes que l'on ferme à la nuit tombée. Il craint la nuit, les canailles, les voleurs de poules, les exclus gyrovagues ... Il faudra attendre le XVIIIe siècle et peut-même le XIXe pour que des villageois dressent de nouvelles maisons à l'extérieur des remparts. C'est là un des traits des mentalités des gens du Languedoc oriental et des contrées voisines. La rotation de la maison seigneuriale devenue maison paysanne marque ce changement d'attitude vis à vis de l'extérieur. Changement qui se manifestera également par l'apparition d'ouvertures dans les remparts et qui marque là aussi ce phénomène de rotation des maisons. Alors que jadis les façades donnaient vers l'intérieur du fort, désormais, en ce XIXe siècle libérateur, elles se tournent vers l'extérieur et donc vers les routes et chemins qui bordent le village. Les maisons vont même se multiplier hors du fort, le long de la route, vers le nord et naîtra alors un second village doublant le premier, un village plus confortable, plus aéré.

Mais avant cette détente urbanistique, la construction est contrainte par les remparts. Nul ne veut construire extra muras et s'exposer au danger. Dans un espace déjà saturé de maisons dès son apparition à la fin du XIVe siècle, l'extension de l'espace bâti n'a pu se réaliser qu'en hauteur. C'est ainsi que la maison en hauteur paysanne se développe comme en ville où les mêmes contraintes s'exercent. Cependant, élever une maison sur plusieurs étages exige des compétences et des investissements qui ne sont quasiment jamais réunis dans un village. De fait, avant le XIXe siècle, la maison à deux étages est une exception, la plus commune est la maison avec un étage et un espace sous comble dédié aux grains ou à la paille. Ainsi, pour agrandir la maison, on a parfois bâti des andronnes qui enjambaient la rue et qui permettait d'étendre la maison en dépit du manque d'espace et de l'impossibilité d'élever les maisons dont les murs étaient adaptés à une construction de hauteur préconçue. Pour élever une maison, il fallait que les murs à la base soient suffisamment larges pour supporter l'élévation. Le coût de la construction poussait plutôt les paysans à adapter précisément la largeur des murs du rez-de-chaussée à la hauteur désirée lors du projet. Pour le dire autrement, on ne prévoyait pas une élévation supplémentaire et on n'avait d'ailleurs guère les moyens de la prévoir. Les lendemains incertains liés à la production agricole et donc au climat rendaient ces visions à long terme inactuelles.
Dès lors, l'andronne, que l'on trouve sous la dénomination de chambre dans le compoix, ce qui nous en livre la fonction, était un des rares moyens d'agrandir à peu de frais. Cette andronne sous laquelle vous êtes a été localisée dans le compoix de 1631, elle appartenait à Mathieu Ligonnetz, qui possédait la maison situé au couchant.

6 - Les cloches

Il est des édifices dont on ne sait pas grand-chose du passé. L'église de Saint-Nazaire est de ceux-là. Le plus ancien état connu est livré par le plan cadastral du premier tiers du XIXe siècle. L'église est petite mais adaptée à la population. Elle est orientée, c'est à dire que le chevet est tourné vers l'orient, elle présente une abside circulaire, elle ne semble pas être dotée de plus de deux travées. Peut-être ressemblait-elle à cela avec son abside ronde?

La construction du presbytère date du début du XIXe siècle et marque la reprise en main par l'église catholique de la paroisse après une période révolutionnaire difficile pour la religion catholique, défigurant au passage l'église. L'abbé Goiffon nous parle d'importants travaux autour des années 1850, qui vont transfigurer l'église et lui donner son allure actuelle, compressée entre deux bâtiments alors qu'en 1825 le cimetière contournait l'église à l'orient dans un espace désormais rempli par une extension de l'église. Cet agrandissement de l'église a pour objet de permettre de faire, autant que faire se peut, correspondre la superficie de l'église au nombre des fidèles. A la suite de cette restauration et de cet agrandissement du lieu de culte de Saint-Nazaire, un ensemble de rituels et d'actions diverses furent réalisés, comme la nomination du conseil d'administration de l'église, l'inventaire des objets mobiliers, l'achat d'une cloche et sa bénédiction le 21 novembre 1859. Écoutons Gérard Pouly, l'historien local à l'érudition certaine, nous dire deux mots de cette cloche ...

Puisqu'il est question de cloche, on aurait du mal à imaginer leur importance dans les villages de jadis. A Saint-Nazaire comme ailleurs, la cloche est un outil de communication par lequel les consuls et le curé s'adressent à la population villageoise et c'est aussi un outil de synchronisation de la population ; à chacun, la cloche, en sonnant, donne des informations sur le moment de la journée, elle indique aussi le moment de l'angélus que l'on récite trois fois par jour, elle sonne l'annonce des morts lorsque le glas retentit, elle sonne à toute volée le tocsin pour alerter d'un danger éminent, elle sonne également à tout rompre pour éloigner les orages qui tournoient dans le ciel et que l'on préfère voir tomber sur Vénéjean, Saint-Alexandre ou Saint-Gervais ... Cet usage profane des cloches de l'église ne plaisait pas toujours aux curés.

La cloche et le paysage sonore qu'elle matérialisait à chaque fois que la boule du battant venait frapper la pince de la cloche composaient une dimension intime de la vie villageoise, on aimait les cloches du village, on les appelait par leur nom, on les reconnaissait quand il y en avait plusieurs et surtout on se cotisait et faisait des sacrifices considérables pour faire fondre une cloche qui venait de se fêler et qui sonnait mal. Il y avait une esthétique sonore des cloches et au village depuis l'enfance, depuis

toujours, on était habitué à entendre le timbre particulier des cloches du village, et au loin, on entendait celle des villages voisins, que l'on n'aimait pas et dont on se moquait avec une mauvaise foi certaine. D'ailleurs, posséder une cloche dont la puissance sonore était telle qu'elle pouvait se faire entendre chez les voisins était un signe de puissance et une source de fierté. Ouand, sous la Révolution, pour fondre des canons, on réquisitionna un grand nombre de cloches et notamment dans les villages qui en comptaient plusieurs, parfois les villages alertés enterraient leur cloche pour la dissimuler aux autorités départementales, fer de lance de la révolution en marche ...
Jadis, ces cloches sonnaient tout au long du jour, aujourd'hui elles sonnent les heures et nous rappellent continument qu'elles ont été au cœur de la vie des villages, n'a-t-on pas donné à l'esprit villageois le nom de « campanilisme », de l'italien campanile, qui signifie clocher ... Tout l'esprit du village est donc là-haut, dans cette cloche ...

7 - Le village-étape sur la Roquebrune

Si Hector Rivoire dans sa statistique du département du Gard nous décrit Saint­Nazaire comme une village sans intérêt où la production agricole est faible voire de mauvaise qualité, ne signalant que la Roquebrune d'où l'on aurait un beau point de vue, c'est parce qu'il ne s'intéresse qu'à la production économique. Or, Saint­Nazaire est un village-étape situé sur une des plus grandes voies de communication du royaume lorsque M. Rivoire procède à l'inventaire des richesses du département du Gard, soit en 1842. Mais à Saint-Nazaire, le secteur des services est relativement important puisqu'il s'agit ici de fournir aux voyageurs tout ce dont ils ont besoin. Avant que le train ne vienne concurrencer la route ou que l'autoroute A7 ne détrône la nationale 86, la route qui passe à Saint-Nazaire, c'est, excusez du peu, une route royale, voire impériale à un moment de son histoire, et pour être plus précis, une hipporoute capable de supporter et surtout de permettre un trafic régulier de voitures tirées par des chevaux au galop. C'est au XVIIIe siècle qu'un vaste réseau de routes de qualité va rayonner depuis Paris et irriguer tout le royaume favorisant ainsi l'essor économique du pays. Cet effort, les États du Languedoc localement en sont les organisateurs et cela dès 1709. Les travaux se multiplient avec la seconde partie du XVIIIe siècle. La réfection générale du Grand chemin de poste qui passe là est lancée vers 1730 et c'est en septembre 1748 que le célèbre Henri Pitot, alors directeur des travaux de la Sénéchaussée de Nîmes-Beaucaire, vient recevoir les travaux de l'entrepreneur qui venait de réaliser la section Bagnols Saint-Nazaire où se trouvait une partie de la portion impliquée de la descente de Roquebrune.

Très avisé, l'architecte du pont accolé au Pont-du-Gard préféra attendre le passage de la mauvaise saison pour juger de la qualité de l'engravement et de sa résistance aux intempéries. A l'extrême fin de ce siècle, un voyageur anglais des plus antipathiques qui n'a eu de cesse de critiquer le royaume de France dans son récit de voyage lâchera tout de même qu'en Languedoc on trouve « des chemins superbes jusqu'à la folie ». Gageons que la Narbonnaise, cette grande route romaine dont de longs tronçons perdurèrent, ne fut pas pour rien dans cette propension languedocienne à édifier de superbes et grandes routes. Ainsi, peu à peu, se met en place le plus vaste chantier routier jamais entrepris en France, et les habitants de Saint-Nazaire étaient à la fois acteurs et spectateurs. Si les nazairiens furent parfois de corvée au XVIIe siècle, cela s'arrête après 1709 quand les États de Languedoc décidèrent de ne plus s'investir dans l'aménagement routier, mettant en place un système de mise à ferme des travaux au moins disant : des enchères inversées qui offraient les travaux à l'entrepreneur le moins cher. Peut-être est-ce à cette époque que la route cessa de contourner le village à l'ouest pour passer à l'est sur le tracé actuel, comme nous l'explique le chanoine Beraud dans sa monographie de Saint-Nazaire mais malheureusement sans dater le changement.

A Saint-Nazaire donc, la route, on connait. On trouve là les services en relation avec l'activité que peut générer une activité routière. On voit là donc selon les époques menuisiers, cabaretiers, marchands, maréchal-ferrant, mais surtout une hostellerie où peuvent dormir des voyageurs arrivant tardivement à Saint-Nazaire et ne pouvant continuer vers Bagnols ou Pont-Saint-Esprit lorsque les nuits noires s'annoncent. S'arrêtent aussi ceux qui connaissent ces nombreux incidents que seule la route peut générer. Car c'est un fait, les routes même de poste, royales, voire impériales ne sont pas éclairées et, par nuit opaque, il est impossible de progresser au risque de verser dans un fossé, comme le fit Voltaire alors qu'il faisait route vers la Prusse pour rendre cette visite qu'il avait promise à Frédéric Il, roi poète et soi-disant philosophe.
Trop près de Bagnols, Saint-Nazaire ne voit malheureusement que peu de voyageurs s'arrêter par nécessité, même si des souverains s'y montrèrent comme Louis XIII le 15 juillet et le 8 aout 1629, ou Louis XIV enfant quelques années plus tard. Cela ne permet pas au village de tirer des revenus importants d'une pos1t1on ô combien privilégiée sur un axe majeur de la Province et du royaume, cette route de poste si importante pour les pouvoirs en place.

La reconstruction du Grand chemin de poste dans les années 17 40 ne fit qu'accentuer la tendance. Mais en 1720 et 1721, le blocus du Rhône réalisé pour contenir la peste en Provence, avait donné un coup de fouet à la circulation par le grand chemin de Poste. Le transport avait alors été défendu sur le fleuve. Ainsi, passagers et marchandises descendant de Lyon, du Vivarais ou de l'Auvergne transitèrent par le Saint­Esprit vers le sud, et donc par Saint-Nazaire. Le trafic du sel étant donc interrompu sur le Rhône, c'est par voiture qu'il est dès lors transporté. Or, les quantités transportées sur le Rhône étaient colossales car le sel du Midi irriguait tout une partie du royaume. Le nombre des voitures nécessaires fut tel que la route de Lunel à Saint-Esprit fut quasiment détruite sur tout son tracé. Ce furent toutefois sans doute deux années bénies à Saint-Nazaire pour l'hostellerie, les artisans et tous ceux qui tiraient un revenu quelconque de la route.

8 - Le village aux XVIIe, XVIIe et XIXe siècles

Si les origines de Saint-Nazaire sont sans doute liées à un établissement routier antique de type cimetière, ou fanum, entendez un temple, essayons de voir ce à quoi il pouvait ressembler au XVIIe siècle. Disposant de quelques documents d'archives d'importance pour cette période, l'historien peut tenter de donner un profil au village en le comparant à d'autres localités voisines se démarquant de Saint-Nazaire par l'absence de cette localisation en bord de route. Le compoix de 1631 collige 36 maisons mais toutes ne sont pas soumises à l'impôt et donc dénombrées, celle du seigneur et celle du prieur comptent au nombre de celles­là ... Une quarantaine de maisons donc ... ce qui correspond au nombre des maisons que l'on peut compter dans le fort sur le plan cadastral du début du XIXe siècle. De ce point de vue, on observe une stabilité de l'habitat sur la période. Il faut dire que même s'il existe quelques habitats d'écarts, des métairies, la quasi-totalité de la population réside à l'abri des remparts en ce premier tiers du XVIIe siècle. Avec la ferme d'un gros propriétaire et deux autres maisons, seule l'hostellerie est située à l'extérieur des murailles du village car celui-ci ferme les portes à la nuit tombante. Pour fonctionner correctement, l'hostellerie doit être hors les murs afin d'échapper à ce cloisonnement des espaces que produit la fermeture des portes. Cependant, à Saint-Nazaire, si l'on vit de l'agriculture, on vit également de la route puisque la proportion d'artisans y résidant est supérieure à la moyenne observée ailleurs. Située dans une montée difficile à vaincre quand la chaussée est détrempée, la montée de Roquebrune impose un recours systématique aux gaillards du coin pour tirer les rares voitures et elle reçoit du directeur des travaux

publics de la sénéchaussée de Nîmes-Beaucaire une attention particulière lors de la reconstruction de cette portion de route. Contre quelques patas ou quelques liards, jeunes et moins jeunes s'organisaient pour sortir les diligences des ornières dans lesquelles elles étaient « enfanguées », embourbées dirait-on en bon français. Avec la construction du grand chemin après 1740, chemin large et bien empierré par les praticiens, le recours aux forces I oca I es se réduit. Désarmais les voitures hippomobiles passent à toute allure, à dix kilomètres heures ou un peu plus encore, et ne s'arrêtent plus guère. Comme à Sénas où les habitants ratent le passage d'une des filles de Louis XV, à Saint-Nazaire, les célébrités aristocratiques ne font plus que passer et peut-être dès lors ne dresse-t-on plus les arcs de triomphe végétaux et le grand apparat de fleurs pour célébrer leur passage. Toute l'activité routière ou presque se déplace dans les bourgs voisins de Bagnols ou de Saint-Esprit. Qu'à cela ne tienne, à Saint-Nazaire, le village va trouver les moyens de s'agrandir puisqu'il va doubler sa superficie et quasiment tripler le nombre de ses maisons entre 1631 et 1881. Sans doute l'expansion est-elle liée à une croissance économique lente malgré les nombreuses anicroches qui se déploient après le catastrophique tournant des XVIIe et

XVIIIe siècles, croissance qui s'accélère avec le XIXe siècle. Ainsi va se multiplier le nombre des nazairiennes et donc celui des nazairiens, et vont s'accroitre les moyens de subsistance. Cette performance économique et démographique, les deux étants liés, donnera les moyens à la France Révolutionnaire d'inventer la mobilisation générale et la conscription, et ainsi de lutter contre l'Europe monarchique coalisée qui voulait en finir avec la République française et rétablir un Bourbon sur le trône de France. Bourbon qui avait été rejeté hors du corps social avant que d'être réduit.
Cette jeunesse supplémentaire qui peuplait ces maisons désormais situées hors le fort, cette jeunesse surnuméraire d'une économie figée dans la terre, cette jeunesse qui résistait un peu mieux aux maladies, cette jeunesse donc, Napoléon suivant en cela l'exemple de la Révolution la mobilisant contre les ennemis intérieurs et extérieurs, lui fera conquérir l'Europe portant ainsi au plus haut le drapeau français et les lumières au prix de centaines de milliers de morts. Confrontée à un problème similaire, aujourd'hui, notre jeunesse trouvera certainement dans les nouvelles technologies un moyen moins martial de montrer au monde tout ce qu'elle peut lui offrir.

9 - A la recherche du fort villageois : dans le labo de l'historien

Dans son histoire de Saint-Nazaire, l'abbé Béraud nous parle de ce fort que les nazairiens édifièrent au XIVe siècle suivant en cela un mouvement général qui touche tout le Midi et plus encore. En réaction aux bandes de mercenaires qui, la saison des combats de la guerre de 100 ans terminée, c'est à dire la belle saison finie, se réorganisent sous la tutelle d'un capitaine et vivent de pillages et de rançons ; toutes les agglomérations se fortifient, exceptées les plus petites qui, aidées en cela par la crise sanitaire durable liée à la peste de 1348 qui devient une pandémie, se vident totalement de leurs habitants partis se réfugier ailleurs. Ainsi, la seconde moitié du XIVe siècle voit se multiplier les désertions de hameaux et même de villages. Les populations se regroupent dans des localités défendues par de hautes murailles. C'est à une rationalisation militaire de l'organisation de l'espace à laquelle on a affaireà cette époque. Saint-Nazaire, situé en bord de route, occupe une position stratégique, il sera donc fortifié. Ici, les habitats d'écarts désertés se reconstitueront à la fin du XVe siècle avant de se voir remplacer par des métairies, de grandes fermes, après les guerres de religion. Nous en reparlerons dans un autre micro-doc. Saint-Nazaire, si près de Bagnols, aurait pu disparaître mais sa vitalité et l'intérêt que lui portèrent les élites de l'époque lui permirent de subsister. On trouva donc les moyens de se fortifier ici comme ailleurs. Et à regarder le plan parcellaire du début du XIXe siècle, l'historien reconnaît, fossilisé dans les réticulés du réseau urbain ancien, entendez les lignes au sol matérialisées par les murs et les rues, un fort médiéval carré.

C'est la forme que prennent souvent les forts à cette époque et cela implique souvent que cette construction se soit faite ex-nihilo. Je veux dire par là que le fort que l'on doit se représenter comme celui de Saint-Laurent-la­Vernède ou celui de Cavillargues plus près d'ici, c'est à dire un espace quadrangulaire serti de quatre tours d'angle, a été bâti à partir de rien, à côté du village pré-existant, ou en l'englobant, détruisant pour ce faire les bâtisses malheureusement placées sur le tracé imaginé par les lapicides, entendez les maçons. Sur le plan parcellaire, on devine ce fort carré serti de tours d'angle dont il ne reste rien ou presque, sinon une forme arrondie sur une carte postale. Si l'on scrute attentivement le mur de la maison accolée à la maison seigneuriale, on observe une régularité qui nous indique qu'il s'agit du rempart et que nous avons là les traces du chemin de ronde. Pour réaliser un chemin de ronde qui permettait de faire le tour des remparts pour exercer une surveillance et riposter aux attaques des assaillants, on montait le rempart jusqu'à un certain niveau puis on plaçait des bars, des pierres taillées de grandes dimensions qui, en encorbellement, servaient de chemin de ronde puis on continuait à monter le mur mais sur une plus petite largeur afin de permettre le passage. Ainsi on obtenait un chemin de ronde.

De profondes transformations des alentours du fort médiéval semblent avoir bouleversé sa belle géométrie initiale. C'est encore à la route que l'on doit cela. On ne le dira jamais assez, Saint-Nazaire et la route sont indissociables, ils vont toujours ensemble, et lorsqu'ils se disputent c'est toujours la route qui gagne. Deux structures semblent apparaître, le village fortifié du XIVe siècle que l'on voit apparaître ici ... et les transformations induites par les reconstructions plus récentes des XVIIIe et XIXe siècles qui modifient l'orientation des réticulés en s'appuyant sur les lignes de force que produit la route nouvelle qui commence à diffuser son pouvoir transformateur à partir des années 1750 avec la construction du grand chemin royal.
En effet, en ayant redressé la route après 1748 lors de la reconstruction du grand chemin sous la direction des États-du-Languedoc, l'ingénieur a indirectement produit un remodelage du parcellaire à l'abord de la route et généré de nouveaux réticulés qui, le temps aidant, par contamination, ont légèrement réorienté les nouvelles constructions. Les maçons bâtissant des murs perpendiculaires les uns aux autres, ils ont permis la colonisation d'une partie du village à cette nouvelle orientation des réticulés.

10 - La coutume au village

Un village médiéval est dominé par un seigneur et le poids de cette domination est plus ou moins lourd relativement au rapport de force que les habitants coalisés ont su imposer aux maîtres de la terre. Deux documents vont se compléter l'un l'autre pour nous aider à comprendre la situation des nazairiens au tournant du XVIe et XVIIe siècle ... Le premier est une série de reconnaissances féodales conservées aux AC de Bagnols-sur-Cèze côté 1120. Pour le second, il s'agit d'une reconnaissance faite au Roi par la Dame d'Ancézune, seigneuresse de Caderousse, Vénéjean, Saint-Nazaire et autres ...
Nous apprenons qu'en l'an 1600, le treizième Jour de septembre, dans la maison de Maître Barthélémy Coste se sont présentés en premier les consuls Antoine Malarte et Laurens Borie ainsi que les conseillers politiques ... Le moment est solennel car tous les villageois vont défiler dans la maison pour reconnaître les biens qu'ils tiennent de leur seigneur. Si le Bayle reçoit d'abord le corps politique du village c'est pour énumérer les droits accordés par le seigneur et lister les obligations. Il semblerait que le document antérieur à celui que nous voyons ici daterait de 1388. On apprend dans le premier document que le comte de Grignan était devenu le seul seigneur du village car tous les droits étaient réunis sous la dot de sa femme Jeanne Daucezune. La suite des documents illustre la relation féodale-vassalique. D'abord les consuls pour eux, les habitants du village et leurs successeurs reconnaissent le Comte de Grignan pour« leur vrai légitime et naturel seigneur audit lieu de Saint-Nazaire », et se soumettent à sa justice rendue par unJuge dans le cadre de la cour ordinaire composée d'un procureur juridictionnel, d'un greffier et un ou plusieurs sergents ordinaires, cour de première instance pour les causes tant civiles que criminelles. 

Cette justice dont on peut dire qu'elle était à cette époque très proche des justiciables était une source de revenus pour le seigneur et lui permet de payer un certain nombre d'administrateurs (juge, procureur, fiscal, sergent, etc.). Les agents du seigneur garantissent seuls la validité des poids et mesure pour éviter les escroqueries à la vente. Après cela, on apprend que tous les incultes, toutes les mines découvertes ou à découvrir, toutes les perrières (entendez les carrières de pierre) appartiennent au seigneur, qui en dispose comme il l'entend. Le seigneur détient la taxe sur les mutations : « les lods et ventes » qui consiste en un prélèvement sur toutes les ventes ou échanges de biens fonciers à hauteur de la sixième partie de la valeur du bien. On ne s'étonnera pas que le marché de la terre et de l'immobilier soit atone dans ces sociétés traditionnelles et que, pour éviter les taxes, les transactions aient été le plus souvent orales, donc garanties par le corps social villageois et son garant la réputation. On rappelle ensuite que les Nazairiens doivent les censives annuelles et perpétuelles sur toutes leurs possessions, c'est à dire une sorte de loyer annuel pour les biens fonciers. Les nazairiens parvinrent à racheter toutes les censives au prix de 6 livres d'argent, deux saumées de tous grains et vingt poules. 

Cette simplification administrative permit sans doute une baisse du coût de la taxe. Plus prosa1que, le document stipule que toutes les langues des animaux tués dans le village seront données au seigneur. La chasse étant interdite sans l'autorisation du seigneur qui l'autorise pour chasser les nuisibles en corps de communauté (on dirait une battue aujourd'hui). Les habitants ne peuvent s'assembler sans la licence du seigneur ou de ses officiers. Il s'agit ici bien entendu de contrôler la foule et de prévenir les révoltes potentielles. On apprend que le four utilisé par les habitants était banal, c'est-à­dire qu'il appartenait au seigneur, mais que les habitants avaient acquis le droit de le gérer eux-mêmes moyennant 5 sols par an. La taxe sur le pulvérage appartient au seigneur, il s'agit d'une taxe payée par les bergers de passage en raison des poussières que soulèvent les troupeaux; poussières qui se déposent ensuite sur les fruits de la terre. On comprend là que le grand chemin de poste était aussi une voie de transhumance.
En commun, les Nazairiens reconnaissent encore une terre hermas de deux saumées de superficie, soit un peu plus d'un hectare, sans doute un pré sec ou l'on mène les bêtes aratoires, c'est à dire les mules, paître et que l'on convertit régulièrement en labour. Pour cette propriété commune, les habitants de Saint-Nazaire paient en commun 3 poules dont on précise qu'elles doivent être bonnes et compétentes .... Sans doute jeunes et pondeuses ... Enfin, comprenne qui pourra!